Un français accusé de plagier un artiste algérien

0
551

Yannick Lebrun, dessinateur châlonnais, fait face à des accusations de plagiat. Il se serait très largement inspiré de l’œuvre d’Amine Labter, artiste algérien.

Le bonhomme rigolard a perdu son sourire. Monsieur Bonnemine, le personnage du dessinateur châlonnais Yannick Lebrun, ne serait pas né de l’imagination de ce dernier. C’est un autre dessinateur, Joël Villers, alias Tex, qui a découvert la supercherie. Le 26 décembre, il effectue des recherches sur Internet pour voir comment les dessinateurs étrangers représentent les questions religieuses et tombe sur les œuvres d’Amine Labter. «  Là, ça m’a sauté aux yeux, raconte le Châlonnais âgé de 57 ans. C’était le travail de Yannick, au détail près. » Entre les esquisses du dessinateur algérien et celles de son confrère châlonnais, il y a plus qu’un air de famille. Même graphisme, même postures, même coup de crayon.

Seul le ton diffère. Amine Labter, âgée de 37 ans, est tranchant, incisif. Engagé politiquement, le diplômé des Beaux-Arts a fait de son bonhomme à tête ronde « un contestataire, qui reprend (ses) coups de gueule », explique-t-il. Dans l’univers de Yannick Lebrun, âgé lui de 45 ans, le personnage est naïf, « un peu niais même ». Au vol de création s’ajoute donc une certaine « dénaturation » de l’œuvre difficile à encaisser.

Joël Villers, qui a déjà exposé avec le papa de Monsieur Bonnemine, tente d’engager la discussion… qui tourne court. « Il n’a rien voulu reconnaître et a été virulent, il m’a traité de facho ! »

Tex met alors Amine Labter dans la boucle. Lequel tombe des nues. «  Il a repris mon personnage et a fait une page Facebook, des expositions, des interventions dans les écoles… C’est culotté ! »

La paternité du bonhomme, qui n’a pas de nom dans sa version originale, semble difficile à nier. Amine Labter l’a inventé en 2006, alors qu’il était étudiant, et l’a depuis fait vivre dans de nombreux médias au travers de sa chronique Vit’amine, notamment dans le journal Le Soir. Yannick Le Brun, lui, croque son héros guilleret depuis 2015, sans faire jamais référence au travail de son cadet. « Il m’a volé mon travail », résume l’artiste algérien.

S’il bénéficie d’une jolie réputation, collaborant notamment avec feu Le petit journal, Amine Labter n’imaginait pas être pillé ainsi. « C’est la première fois que ça m’arrive, je n‘y pensais même pas, je n’ai pas la notoriété pour ça. » Le cartoonist a été privé de dialogues avec son imitateur supposé, qui a rapidement supprimé toutes traces de son existence sur Internet (même si la mémoire du web ne meurt vraiment jamais). Amine Labter aurait « peut-être été apaisé » par des excuses publiques mais celles-ci ne venant pas, il s’est tourné vers un avocat parisien. Lequel étudie aujourd’hui le dossier pour apporter des preuves de la contrefaçon (lire ci-dessous) et, pourquoi pas, intenter une action en justice.

Dans le milieu artistique et associatif châlonnais, la nouvelle a fait l’effet d’un petit scandale. Yannick Lebrun, récemment revenu vivre à Châlons, était de tous les événements, jamais avare d’une dédicace ou du don d’une œuvre, comme lors de l’hommage à Johnny Hallyday. Il a un temps été correspondant pourL’union, à Vitry-le-François, où il exposait déjà. En novembre encore, il proposait un atelier aux enfants du centre social et culturel de la Vallée-Saint-Pierre. Là, rapporte un témoin, l’homme leur expliquait la naissance de Monsieur Bonnemine et souriait : « J’aime l’idée que l’on s’approprie mon bonhomme que j’ai créé dans la solitude. »

A posteriori, les mots ont un goût amer pour ceux qui l’ont soutenu. Le photographe Christophe Dalennes, lui aussi de toutes les actions pour promouvoir la ville, se sent aujourd’hui « déçu ». Avec d’autres, il a aidé le dessinateur à « pousser des portes » et se faire connaître. « J’étais fier que mon fils dessine avec lui, se souvient le photographe. Mais c’était faux, il nous a bien bluffés. C’est vraiment dommage. »

 Marion Bertemes